BOÈCE

BOÈCE
BOÈCE

L’œuvre de Boèce a été, pour le Moyen Âge et la Renaissance, une source fondamentale de réflexion philosophique. Elle a joué un rôle décisif dans la transmission de l’héritage de la philosophie antique à l’Occident médiéval et moderne. Les traductions latines et les adaptations de commentaires néo-platoniciens grecs d’Aristote, que Boèce a rédigées, ont initié le Moyen Âge à l’exégèse savante des œuvres d’Aristote, au modèle «scolastique» de la philosophie antique tardive, et ont créé une langue philosophique latine, technique et précise. D’autre part, ses opuscules théologiques ont fourni à la théologie médiévale les définitions rigoureuses des notions de «nature», de «personne», d’«être», d’«étant» et l’idée de la possibilité d’une théologie exposée more geometrico . Enfin, sa Consolation de Philosophie , qui fait partie du trésor de la littérature universelle, une des œuvres les plus lues, les plus traduites, les plus fréquemment commentées au Moyen Âge et à la Renaissance, a transmis à l’Occident les principes et les thèmes fondamentaux de la sagesse antique.

Les commentaires et les ouvrages de logique

Né en 480, Boèce appartenait à la gens Anicia, une des maisons aristocratiques les plus importantes de la fin de l’Antiquité. Sous le règne de Théodoric, il eut des charges très importantes (consul, maître du palais) et fut mêlé à tout le mouvement politique de l’époque. Accusé de sympathie pour la politique de reconquête de l’Italie inspirée par l’empereur Justinien, il fut arrêté sur les ordres de Théodoric; longtemps emprisonné, il fut cruellement mis à mort en 524.

Homme d’État de haut rang, Boèce fut aussi philosophe. Il s’était lui-même proposé comme programme de traduire et de commenter toute l’œuvre logique, morale et physique d’Aristote, puis de traduire et de commenter tout Platon, enfin de montrer l’accord entre la philosophie d’Aristote et celle de Platon. Ce programme ambitieux reproduisait d’ailleurs, purement et simplement, le programme des études philosophiques qui était la règle dans les écoles platoniciennes. Boèce n’a pu réaliser qu’une petite partie de cette œuvre gigantesque. Il a commenté quelques œuvres logiques d’Aristote et l’Isagoge de Porphyre. Pour chaque ouvrage, Boèce avait composé deux commentaires, le second étant toujours plus développé que le premier. Ces commentaires étaient des traductions et adaptations des commentaires d’Aristote rédigés dans les écoles platoniciennes d’Alexandrie et d’Athènes.

À ces commentaires s’ajoutent d’autres œuvres de logique: un traité De la division , une Introduction aux syllogismes catégoriques et un traité Des syllogismes catégoriques , un commentaire sur les Topiques de Cicéron, et un traité Sur les différences topiques .

Le Moyen Âge lira aussi beaucoup les œuvres de Boèce consacrées à ce qu’il a appelé le quadrivium , notamment ses traités d’arithmétique et de musique, adaptés au public latin à partir de modèles grecs.

La «Consolation de Philosophie»

Du fond de sa prison, avant sa mort tragique, Boèce écrit sa Consolation de Philosophie . Dans cette œuvre, où alternent prose et poésie, il fait appel à la tradition de la sagesse antique, stoïcienne et platonicienne, pour assurer la paix de son âme au sein du malheur qui l’accable. Le premier livre décrit la Philosophie apparaissant à Boèce qui, dans sa prison, se lamente sur sa disgrâce. La Philosophie explique à Boèce que son trouble provient du fait qu’il ne comprend pas la nature et la fin de l’homme. Dans le deuxième livre, la Philosophie montre à Boèce l’inconstance des choses humaines et de la Fortune, «puissance aveugle au double visage». Le livre troisième définit le vrai bonheur: ce n’est ni la richesse, ni le pouvoir, ni la volupté, mais c’est Dieu même. C’est ce Bien souverain qui dirige le monde et lui impose son ordre. Dans le livre quatrième, la Philosophie répond à l’objection que l’on peut tirer de l’existence du mal dans le monde. Par-delà les apparences, il faut apercevoir l’ordre profond qui règne dans le monde, notamment la subordination du Destin à la Providence, la Providence étant la Raison divine qui ordonne toutes choses, tandis que le Destin est l’ordre même qui règle en détail le déroulement du plan divin dans le temps. On retrouve ici une doctrine traditionnelle de la Providence et du Destin qui s’était développée dans le moyen platonisme et dans le néo-platonisme. Le dernier livre enfin répond à un problème posé par la théorie de la Providence: comment concilier la liberté humaine avec la prescience divine? La prescience divine ne supprime pas le libre arbitre, parce que Dieu ne voit pas les futurs contingents comme un être temporel les verrait. Le mode de connaissance, en effet, est relatif au sujet qui connaît: Dieu voit les futurs contingents selon son mode d’existence à lui, qui est l’éternité: il possède entièrement dans le présent l’infinité des moments du temps. La prescience ne transforme donc ni la nature ni les propriétés des choses. Dieu voit à la fois ce qui doit arriver nécessairement et ce qui doit arriver librement. Le même fait est donc nécessaire quand on le réfère à la science divine et absolument libre quand on le considère en sa nature propre. La nécessité du fait, par rapport à la science divine, n’est qu’une nécessité conditionnelle, analogue à celle selon laquelle il est nécessaire qu’un homme marche, du moment qu’on sait qu’il marche. La science divine voit donc les faits libres comme libres.

Les traités théologiques

Dans la Consolation de Philosophie , on ne trouve aucune trace de profession de foi chrétienne, pas plus que dans les œuvres logiques ou dans les traités mathématiques. On s’est donc longtemps demandé si les œuvres théologiques que la tradition manuscrite attribue à Boèce étaient bien authentiques. Mais la découverte de l’Anecdoton Holderi , une notice de Cassiodore où il est question de Boèce et qui lui attribue explicitement ces écrits, a obligé définitivement à admettre cette authenticité. Ces opuscules, assez courts, traitent de problèmes théologiques qui étaient débattus à l’époque. Le traité V, Contre Eutychès et Nestorius , en définissant avec précision les notions de «nature» et de «personne», défend la formule orthodoxe: la personne unique du Christ subsiste en deux natures et à partir de deux natures (divine et humaine). Les traités I et II se rapportent tous deux au même problème de théologie trinitaire: le terme «Trinité» est-il un terme qui se rapporte à l’ordre de la substance ou à l’ordre de la relation? Pour Boèce, le terme «Trinité», qui correspond à la diversité des personnes, se situe dans l’ordre de la relation. Il faut donc distinguer entre Deus et Trinitas . Le traité III, qui aura un très grand succès au Moyen Âge, répond à la question: «Comment les êtres créés peuvent-ils, en leur être même, être bons sans être eux-mêmes le Bien substantiel?» Boèce répond que l’être des étants est bon dans la mesure où cet être est originellement identique à l’être de Dieu (selon un mode idéal d’existence ou de préexistence), mais qu’il n’est pas un bien substantiel, puisque précisément les étants particuliers ne sont pas identiques à leur être, donc à leur bonté, mais qu’ils sont distincts de cet être originel auquel ils participent selon une forme déterminée (forma essendi ) qui limite et détermine cet être. Le traité IV, De fide catholica , qui présente un exposé de la foi catholique concernant l’histoire du salut, n’est peut-être pas authentique.

Que le même homme ait écrit la Consolation de Philosophie et les traités théologiques ne doit pas nous étonner. C’est un trait général de l’aristocratie romaine, en cette fin de l’Empire, que cette juxtaposition, sans vrai mélange, entre le christianisme et les traditions spirituelles de l’Antiquité païenne. Chez Boèce, en tout cas, les œuvres profanes et les œuvres chrétiennes ont en commun l’usage d’une stricte méthode rationnelle. C’est ce rationalisme rigoureux qui fait la grandeur de Boèce et lui donne sa signification historique.

Boèce
(Anicius Manlius Torquatus Severinus Boetius) (v. 480 - v. 524) philosophe et homme politique latin. Ministre de Théodoric, accusé de complot, il fut jeté en prison, où il écrivit un dialogue, De la consolation de la philosophie. Il mourut sous la torture.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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